Pendant le confinement, la continuité du lien entre enseignants chercheurs et étudiants a emprunté différents canaux. Le moyen le plus fréquemment employé est le mail (83%), suivi de l’ENT. Il faut noter que certains étudiants (plus d’un quart) et enseignants-chercheurs n’utilisent pas ou peu l’ENT et préfèrent des alternatives variées : visioconférence, réseaux sociaux etc. (graphique 8).
Graphique 8. Moyens utilisés régulièrement pour communiquer avec vos enseignants et suivre les cours
La clarté des consignes et la quantité de travail demandé dans le cadre des études font l’objet d’appréciations contrastées (graphique 9). Un tiers des étudiants estime que le volume de travail demandé est supérieur à celui d’avant le confinement, un autre tiers estime qu’il est équivalent. De ce point de vue, on note une différence entre les licence et les master : alors que 36% des licence déclarent que le volume de travail est supérieur à celui de d’habitude, ce n’est le cas que de 19,7% des masterants.
Graphique 9. Considérez-vous que le volume de travail qui vous est demandé est…
En revanche, sur la question de la compatibilité du travail à réaliser avec les contraintes liées au confinement, cette différence licence/Master est très atténuée (graphique 10). Ce volume de travail n’est pas compatible avec les conditions du confinement pour un quart des répondants et ne l’est pas vraiment pour un tiers d’entre eux. Au total, ce sont près de 6 étudiants sur 10 (57%) peine donc à accomplir ce qui lui est demandé dans le cadre du télé-enseignement. Il reste qu’un quart des étudiants estiment que ce qui leur est demandé est totalement compatible avec leurs conditions de confinement.
Graphique 10. Le volume de travail qui vous est demandé est compatible avec les contraintes qu’implique cette situation de confinement
Les raisons de ces jugements opposés sont à explorer plus avant mais quelques premiers résultats indiquent, très schématiquement, un fort contraste entre des étudiants, nombreux, connaissant de « bonnes » conditions de confinement, pas isolés, ayant une pièce pour eux, peu de charges quotidiennes, pas d’emploi à côté, ayant réussi à maintenir un fort investissement dans les préoccupations universitaires etc. et les autres, moins nombreux mais qui expérimentent des situations beaucoup plus défavorables[1]. Que ces derniers aient répondu au questionnaire témoigne néanmoins de ce qu’ils ont réussi à maintenir vivaces des préoccupations universitaires et un lien avec l’institution. Les étudiants les plus désaffiliés restent, rappelons-le, invisibles avec ce dispositif d’enquête.
Il n’y a pas de mise en cause systématique du corps enseignant mais certains soulignent, dans leurs commentaires libres, que les enseignants-chercheurs, individuellement ou en équipe, sont très inégalement à l’aise avec la situation et le passage à l’enseignement à distance.
La modification (ou non) des exercices demandés implique un surcroit de travail, une accumulation des remises de travaux à certaines dates et donc un engorgement du flux de travail, un déficit de coordination sur les rendus qui se traduit notamment par un éparpillement des consignes, etc. Il n’est pas possible de restituer de manière nuancée dans cette synthèse courte les 143 commentaires rédigés par les étudiants sur la quantité de travail et le type de devoirs qui leur sont demandés. Certains sont assez véhéments, la majorité plus pondérés. Les quelques citations suivantes permettent de souligner des récurrences dans les discours étudiants, qui mêlent conditions matérielles et psychologiques de confinement et difficultés spécifiques liées au travail à distance[2] :
« Je rencontre énormément de difficultés en cette période de confinement avec la quantité de travail fournie, qui est, d’une part, plus élevée qu’en temps normal, et, d’autre part, absolument pas adaptée à la situation actuelle. J’ai la charge d’un adolescent de 14 ans, auquel je dois donner des cours régulièrement. Nous partageons un ordinateur pour trois, dont un collégien, moi-même étudiante, et mon compagnon, qui est en recherche d’emploi. » (Femme, 20 ans, Licence)
« Je fais partie des étudiants qui ont du mal à gérer le travail scolaire, les obligations familiales et le travail. Étant [travailleuse hospitalière], mon employeur a augmenté mes heures de travail et j’ai été contrainte d’accepter au vu de ma situation financière (prêt étudiant + Frais de véhicule) » (Femme, 20 ans, Licence)
« Personnellement, je trouve que les devoirs en groupe ne sont pas adaptés à la situation actuelle car il est difficile de travailler avec d’autres personnes à distance. » (Femme, 21 ans, Licence)
Étant à mon deuxième droit à la bourse, si je ne valide pas mon passage en L2, je n’obtiendrai de bourse pour l’année prochaine, et donc serai contraint d’arrêter pour le moment mes études en faculté, pour pouvoir subvenir à mes besoins primaires ( Alimentaire, logement, etc…) et donc à mon indépendance ( il m’est impossible de retourner chez des parents ). Ayant eu des difficultés avec la diffusion des informations de ma faculté, j’ai des préoccupations quant à la validation de certaines domaines de ma licence, et espère pouvoir les rattrapés en période de rattrapage. Voilà ma principal préoccupation, de laquelle logiquement découle mes réponses précédente, ne souhaite pas arrêter des études dans lesquelles, après une réorientation, j’ai trouvé ce qu’il me passionnait d’apprendre. Homme, 20 ans, Licence
« La charge de travail est plus importante que d’ordinaire, dans une situation extraordinaire. Bien qu’on soit chez nous, c’est pas pour autant que nous somme en capacité de travail. Certains étudiants ont leur proches à hôpital, d’autre ont ou vont devoir gérer des décès, certains travaillent comme énormément pour combler les manques de personnel. Et je pense que surcharge de travail scolaire nous donne juste l’impression de nous noyer. » (Femme, 28 ans, Licence)
« Mes journées se ressemblent énormément et malgré le temps disponible, et mes nombreux essais, il m’est quasiment impossible de travailler et d’avancer sur les écrits demandés, manque de motivation, impression de tourner en rond, perte d’envie, cela est très stressant et perturbant. L’avancement du mémoire de recherche est bloqué car les entretiens ne peuvent pas se réaliser, le directeur de mémoire m’encadre bien mais c’est difficile malgré tout. » (Femme, 23 ans, Licence Professionnelle)
La charge de travail pendant le confinement à presque doublé par rapport à ce qui nous est demandé habituellement. en plus de cela les travail de groupe on été maintenu ce qui rend le travail difficile puisqu’on ne peut pas se voir (Femme, 22 ans, Master 1)
Si l’on nous donne notre titre plus tard et qu’on ne peut donc pas prendre de poste avant au moins septembre, en sachant que je ne peux pas travailler dans mon job étudiant habituel (fermé jusque juillet minimum), financièrement ça va être compliqué (Femme, 23 ans, Master 2)
L’impossibilité d’aller à la bibliothèque universitaire, souvent mentionnée, pose problème à certains : lieu de socialisation qui établit une césure avec la vie quotidienne, elle permet à beaucoup de se concentrer, d’avancer sur les travaux à rendre, voire de disposer d’un outil informatique.
Pris dans l’économie domestique et psychologique du confinement, le temps que les étudiants disent pouvoir consacrer au travail universitaire est relativement faible : deux heures pour plus d’un quart d’entre eux et entre deux et quatre heures par jour pour 64 % des répondants (graphique 11).
Graphique 11. Combien de temps par jour (en nombre d’heures) estimez-vous pouvoir consacrer à votre travail pour vos études ? (Appuyez-vous sur l’expérience de ces derniers jours, sans sur-déclarer ni sous-déclarer).
Il faudrait croiser plus systématiquement que nous ne pouvons le faire ici ces jugements sur le volume de travail universitaire demandé et le temps disponible pour le réaliser avec les réponses sur les situations matérielles et sociales des étudiants. Ces analyses viendront dans un second temps. Gageons – c’est une hypothèse raisonnable – qu’existe en la matière un cumul des inégalités, dont il faudrait mesurer l’ampleur. Quelques premiers résultats montrent ainsi que ceux qui déclarent un niveau de confort économique inférieur à la moyenne[3] sont aussi plus nombreux à avoir un job étudiant, à en être privé pendant le confinement, à estimer le travail demandé plus important que d’habitude et peu compatible avec le confinement, notamment parce qu’ils disposent moins souvent que la moyenne d’une pièce dans laquelle s’isoler et sont moins bien équipés que la moyenne : ils sont ainsi près de deux fois plus nombreux (12%) que le reste des étudiants à ne pas disposer d’ordinateur personnel, à travailler et consulter internet exclusivement sur leur téléphone portable.
[1] Qui, encore une fois, ont répondu à l’enquête et ne sont donc pas les plus éloignés des préoccupations universitaires.
[2] Nous avons pris soin de faire figurer ici des citations d’étudiants de licence, de master, et de varier les filières d’inscription.
[3] Ils ont répondu 5 ou moins à la question « Si vous deviez évaluer votre situation financière et matérielle sur une échelle de 1 à 10 (1 étant une situation de grande précarité économique et 10 une situation confortable), où vous situeriez-vous ? Ils représentent 36,7% de l’échantillon.
Lien vers l’enquête complète: http://amiens-sociologie.fr/index.php/enquete-sur-le-confinement-des-etudiants-de-lupjv/